Afrique aux noirs
Mise en Valeur et Omission
Elodie Mugrefya
L’Afrique Aux Noirs est un texte écrit par Paul Otlet, personnage devenu familier chez Constant. En effet, précédents projets Constant, Algolit et Mondothèque, avaient approché le Mundaneum ainsi que le travail de Otlet de manières variées. Paul Otlet devint ces vingt dernières années une figure célébrée de l’intellectualisme belge, romantiquement dépeint comme un héro tragique, l’éternel génie incompris.[1] Les recherches que j’ai effectuées sur ce personnage m’ont dressé le portrait d’un homme brillant, passionné et bienveillant, en somme toute une personne remarquable. Effectivement, il fût défini entre autres comme un universaliste, un utopiste, un documentaliste, un internationaliste,[2] un pacifiste, un militant socialiste et un visionnaire.[3] Ce texte obscur titré L’Afrique Aux Noirs écrit lorsque Otlet avait 19 ans ne semble n’avoir jamais provoqué de questionnement quant à ce beau tableau. Je ne suis pas parvenue à trouver de commentaires ou critiques portés à l’égard de ce texte. Pareillement, les projets Constant précédemment cités se sont contenté de simple mentions, comme si le texte ne mériterait pas que l’on s’y attarde ; comme si il n’était en aucun cas le reflet de la personne qu’était Paul Otlet et de l’héritage dans lequel ce dernier se positionna.
Mon argument postule que le texte L’Afrique Aux Noirs est tout aussi signifiant que les autres textes, œuvres et projets de Paul Otlet. Il n’est pas non plus un faux-pas embarrassant pouvant être ignoré sous prétexte d’une faute de jeunesse. Si à aucun moment de sa carrière Otlet ne reviendra sur ses propos, c’est parce qu’au contraire il les confirmera au travers de ses projets professionnels. Le portrait romantique qui fût dressé pour qualifier Otlet semble avoir rendu difficile tout criticisme, provoquant une sorte d’aveuglement délibéré envers les éléments ayant le potentiel d’obscurcir ce beau portrait. L’Afrique Aux Noirs, je soutiens, est une manifestation, parmi d’autres, du caractère profondément raciste de la personne de Paul Otlet.
Estampiller un individu de raciste est toujours hasardeux car premièrement cela cause des émois démesurés dont la force est telle que la suite de l’argument ne peut tout bonnement plus être entendue. Secondairement, c’est effectivement dangereux car cela peut engendrer un encastrement, une fois de plus, du racisme dans un schéma de pensée extrêmement problématique délimitant le racisme comme phénomène essentiellement individuel. En clair, que le problème du racisme est un problème de comportement des individus les uns avec les autres et non un mécanisme largement systémique. Je vais tenter d’avancer l’argument duquel la personne mais aussi l’héritage de Paul Otlet est foncièrement raciste. Ceci ne veut pas dire que ce dernier passait son temps libre à couper des mains noires, bien qu’il fût très élogieux à propos d’un tel système mis en place par le roi Léopold II,[4] mais plutôt qu’il a activement participé à une entreprise de déshumanisation dantesque des populations non blanches, et tout particulièrement noires, grâce à laquelle les souffrances et les injustices vécues hier et aujourd’hui par ces populations s’y retrouvent légitimées et normalisées. Otlet fût d’ailleurs si favorable à l’œuvre de Léopold II qu’il aspirait à construire le Palais Mondial dans le parc de Tervuren, tout proche de ce qui était appelé à l’époque le Palais du Congo.[5] De ce fait, il semble qu’il constatait lui-même d’une véritable affiliation entre le Palais Mondial et le projet colonial Léopoldien et souhaitait souligner ceci de par un lien physique de proximité.
Le texte L’Afrique aux Noirs démarre sur la constatation d’un mouvement naissant aux États-Unis. Ce mouvement prône un retour de la communauté noire américaine à la terre natale africaine. Le leader de ce mouvement prêche un retour en Afrique afin de brûler les « faux dieux » africains et d’y « convertir les cannibales au christianisme ». Otlet encense ce mouvement, reconnaissant que la communauté noire américaine ne sera jamais respectée ni intégrée dans une pays où elle fût brutalement exploitée pendant des siècles d’esclavagisme. Il appelle alors la Belgique à prendre part dans ce mouvement en tant qu’état ayant déjà accompli « une œuvre humanitaire et chrétienne » au Congo. Cependant, il avertit du danger de mêler la civilisation belge, si complexe et raffinée avec l’africaine, si « sauvage ». Le rôle de la Belgique selon Otlet serait alors de servir de tutelle aux populations noires afin de s’assurer d’une évolution favorable des choses. Cette population noire américaine ayant déjà été en contact avec une « civilisation avancée » aurait dès lors la capacité de sortir ses compatriotes noir.e.s de la « barbarie africaine ». Otlet termine par encourager Léopold II à prendre les devants et à inviter ces nouveaux venus au Congo afin de leur offrir des terres et faciliter l’épanouissement d’une société africaine. Il y a j’estime deux points principaux à retirer de ce texte. Premièrement que les Africain.e.s sont d’une nature foncièrement mauvaise, puisque barbare et immorale, ainsi qu’incapables d’agir en autodétermination et pour leur propre bien, sans l’aide des populations occidentales blanches. Le second point est que Otlet se montre, sans aucune ambiguïté, très favorable à l’entreprise colonialiste, ce qui est évidemment tout à fait lié au premier point.
Lorsque que je m’attaquai à l’étude du texte L’Afrique Aux Noirs, deux formes de défenses me furent exprimées à plusieurs occasions par des personnes très variées. Il m’a donc paru essentiel de centrer mon argumentaire sur ces réactions en m’y opposant fermement car l’occurrence avec laquelle elles me furent articulées me fut plus que déconcertante. La première défense, et la plus insupportable, consiste à excuser Otlet et ses propos sordides car ils seraient, après tout, le reflet d’une époque et non d’un homme. La seconde défense revient à absoudre le personnage du fait de son jeune âge lors de l’écriture du texte L’Afrique Aux Noirs, Otlet avait alors 19 ans à l’époque.
Je tiens à écarter le premier argument typique qui prend forme, sans exception aucune, lors de la formulation d’une déconstruction de textes de figures européennes d’antan. Je refuse tout bonnement l’exposé selon lequel il faudrait re-contextualiser les propos d’Otlet au sein de son époque, celle-ci environnant la fin du 19ème siècle et le début du 20ème (1868-1944). Cet argument a pour effet infernal de situer le point de vue blanc européen comme valeur par défaut au sein duquel l’autre, le noir, y est l’étrange, le sauvage, le vilain. Grâce à cette paresse de réflexion, la haine, le mépris et la violence envers l’Africain.e se retrouvent excusés, normalisés, acceptés. Ce point de vue européen se présente comme point cardinal de la pensée intellectuelle avec ses atrocités expiées sous couvert d’une prétendue exceptionnalité des Européen.e.s blanc.he.s. C’est précisément ce positionnement qui a produit la croyance qu’en tant que point cardinal, l’Occident se donne alors le droit, le devoir même, de régner sur le reste du monde, d’y arbitrer ce qui est bon, ce qui ne l’est pas, de décider de ceux qui vivent et de ceux qui ne vivent pas. C’est d’ailleurs la posture prédominante qu’emprunte Otlet dans son texte. Il y parle d’une Europe colonisatrice et civilisatrice qui se doit de prendre part dans les affaires des Africain.e.s et noir.e.s Américain.e.s, en tant qu’agent de modernité et de progrès. Otlet est explicite quand il soutient l’énoncé selon lequel il existe un antagonisme profond entre Européen.e.s, représentant la complexité, la finesse, l’intelligence et les Africain.e.s représentant la sauvagerie, barbarie et la déchéance morale et intellectuelle. Ce sont ses mots, pas les miens.[6]
Ceci n’est pas pour prétendre que la hiérarchisation de l’humanité fut une pratique exclusivement européenne. Mais, c’est en Europe que cette prétendue inhérente infériorité de certaines populations fût si profondément admise comme vérité absolue que des générations entières de scientifiques travaillèrent à la prouver par le biais d’une présumée rigueur scientifique.[7] L’infériorité des noir.e.s n’est donc plus juste une justification toute trouvée pour l’exploitation esclavagiste mais devint alors une réalité scientifique.
J’appris à l’école, comme probablement la plupart des enfants européens, que l’Europe doit sa grandeur aux avancées qui ont pris place lors du glorieux siècle des Lumières. Cette période me fut définie comme la véritable ascension de l’esprit humain et de son exceptionnalité. Ce triomphe de l’esprit ne prit place bien sûr qu’en Europe. C’est à ce siècle glorieux des Lumières que l’on doit le début de travaux sur les races humaines, alors que les scientifiques européens entrèrent dans une ère de classification frénétique. Tout devait pouvoir être rangé dans des catégories : les plantes, les roches, les animaux et les humain.e.s.[8]
C’est d’ailleurs sur cette logique classificatrice qu’est basé le modèle des institutions d’héritage culturel et scientifique comme les musées. Les collections muséales reflètent la rencontre entre cette appétence pour la classification avec les pulsions européennes d’accumulation extrême ; conjonction symbolisant d’ailleurs formidablement bien l’œuvre de Otlet. Et Otlet, cet « homme qui voulait classer le monde » (appellation utilisée par Françoise Levie faisant appel à un romantisme naïf exacerbé) s’est effectivement attelé à classifier et collecter tout ce qu’il pouvait, nourrissant ainsi l’idée que les Européen.e.s se doivent d’avoir accès à toutes choses et tous savoirs en tant que bienfaiteur.rice.s de l’humanité. Ce titre du documentaire de Françoise Levie est un exemple éclatant de la naïveté blanche avec laquelle l’œuvre de Otlet fut approchée jusqu’ici. Le problème ici tient surtout dans l’articulation d’un tel surnom comme d’un attribut implicitement bon, niant ainsi complètement les idéologies nées des déploiements de la classification comme la physiognomonie, la phrénologie, le racialisme ainsi que leurs héritages brutaux.
La scientifisation du racisme opéra un virement de logique fondamental dans la propagation du racisme anti-noir.e.s grâce auquel non seulement l’esclavagisme fut légitimé mais aussi tout système d’oppression visant les personnes noires. Cette rhétorique d’infériorité, fondamentalement liée aux travaux de construction de la notion de race, servit de marquage pour tout ce qui appartient à l’univers du non-blanc. Les noir.e.s, les jaunes, les rouges etc devenant alors tou.te.s des figures de « l’autre » par rapport au blanc. Ainsi, émerge le système invisible de la whiteness, où le blanc n’y est ni défini ni catégorisé car il en est le point neutre et peut ainsi catégorisé le reste de l’humanité. Mon refus de ce premier argument précité, produit d’une logique eurocentriste, est un geste indispensable afin de parvenir à effleurer l’expérience violente de l’altérité dans laquelle les personnes considérées comme extérieures au canon blanc furent et sont toujours enfermées par l’Occident.
Afin d’enterrer une bonne fois pour toute l’argument de l’époque, je tiens aussi à souligner sa fausseté factuelle. Déjà à l’époque même où Otlet arborait fièrement son dégoût de l’Africain.e sous couleur d’une fausse scientificité, plusieurs penseurs Africains et Européens avaient déjà couché des écrits révolutionnaires, antiesclavagistes et anti-racistes sur papiers.[9] Par exemple Olaudah Equiano, re-baptisé Gustavus Vassa, écrivit son autobiographie « The Interesting Narrative of the Life of Olaudah Equiano » en 1789, soit 100 ans avant L’Afrique Aux Noirs, qui devint un best-seller dans les années de sa publication. Cet ouvrage est le premier acompte direct de l’expérience de l’esclavagisme par un ancien esclave. Cette autobiographie fut publiée dans plusieurs pays européens et fut considérée comme avoir contribué à la poussée du sentiment anti-esclavagiste en Europe et aux États-Unis.[10] Il apparaît alors que Otlet n’était donc même pas un homme de son époque, durant laquelle il existait de la documentation contredisant ses préconceptions racistes estimant l’infériorité intellectuelle des personnes noires. Il est impératif de juger durement Otlet du fait qu’il eut un accès aux savoirs du monde considérablement privilégié et se disait vouloir créer un porte d’entrée vers ces savoirs.
De ce fait, si la pensée antiraciste était déjà disponible à l’époque de Otlet, cela démontre à quel point son racisme n’était pas un défaut d’époque mais plutôt un refus tout à fait conscient d’affronter ses conceptions racistes profondément ancrées dans l’héritage de la pensée européenne. En effet, si je parle d’affronter ce n’est pas par hasard car si Otlet, et bien d’autres intellectuels européens, en venait à admettre que les Africain.e.s étaient effectivement égaux aux blancs, c’est tout le système colonial qui perd de sa splendeur civilisatrice pour ne devenir qu’une entreprise monstrueuse entraînée purement et simplement par la machinerie capitaliste. Où pourrait alors se situer les belles pensées des Lumières qui théorisent la liberté individuelle comme élément naturel des humain.e.s si les Africain.e.s sont effectivement des humain.e.s aussi ? En effet, l’ambition des Lumières selon Immanuel Kant, qui est cité à de nombreuses reprises dans les travaux de Otlet[11] et est considéré comme personnage majeur du mouvement des Lumières[12], fut articulée ainsi :
«Les Lumières c’est la sortie de l’homme hors de l’état de tutelle dont il est lui-même responsable. L’état de tutelle est l’incapacité de se servir de son entendement sans la conduite d’un autre. On est soi-même responsable de cet état de tutelle quand la cause tient non pas à une insuffisance de l’entendement mais à une insuffisance de la résolution et du courage de s’en servir sans la conduite d’un autre. Apere aude! Aie le courage de te servir de ton propre entendement! Tel est la devise des Lumières »[13]
De ce fait, véritablement considérer les Africain.e.s comme humain.e.s met sérieusement à mal les fondements des Lumières. La déshumanisation des Africain.e.s devait être rendue réelle afin de pouvoir perpétuer les atrocités tout en gardant la grandeur humaniste articulée par les Lumières. Cornel West et Achille Mbembe, dans leur critique de l’esclavagisme et du colonialisme attirent brillamment l’attention sur ce point :
« La suprématie blanche fait partie intégrante du progrès européen, et l’odieux esclavage des Africains est une précondition des percées progressistes du monde moderne »[14]
« Progéniture de la démocratie, le monde colonial n’était pas l’antithèse de l’ordre démocratique. Il en a toujours été le double, ou encore la face nocturne. Il n’y a pas de démocratie sans son double, sa colonie, peu importe le nom et la structure »[15]
Pour conclure cet argument, je tiens à signifier à quel point il est essentiel de refuser la justification du racisme de Otlet de par sa position temporale. L’accent doit être mis sur la part active que ce dernier a occupé dans un système qui a tué, torturé et asservis des millions de personnes jusqu’à aujourd’hui, en nourrissant l’idée que les Africain.e.s sont des sous humain.e.s, de la chair à asservir. Cette déshumanisation des Africain.e.s fût une stratégie si efficace, qu’aujourd’hui encore lorsqu’on entre en son contact comme via le texte de Otlet, elle ne provoque rien de plus qu’un haussement d’épaule excusant la haine et le mépris d’antan. Comme si cette entreprise de déshumanisation n’avait aujourd’hui encore aucune sorte d’influence sur la société.
Aussi, je m’attaque à présent au second argument utilisant le relatif jeune âge de Otlet lors de l’écriture du texte comme gage d’excuse. Je dispute ce très faible argument résultat d’une véritable réticence à regarder le problème en face. La simple lecture du livre « Monde : Essai d’Universalisme », écrit par Otlet en 1935, où il avait alors 67 ans, révèle sans détours l’inconséquence de cet argument. En voici quelques extraits :
« Par contre, il faut distinguer avec soin de nos races supérieures les races vraiment inférieures, à cerveau plus petit, comme les Weddas, les Axas, les nègres, etc. Ici l’erreur n’est plus possible : le métissage qui est bon chez les races européennes devient mauvais chez les mulâtres. »[16]
« Les races, pour autant qu’elles ont pu être observées, donnent lieu à des caractéristiques propres. Ainsi, dans l’espèce nègre, le cerveau est moins développé que dans l’espèce blanche, les circonvolutions sont moins profondes et les nerfs qui émanent de ce centre pour se répandre dans les organes des sens sont beaucoup plus volumineux. De là un degré de perfection bien plus prononcé dans les organes, de sorte que ceux-ci paraissent avoir en plus ce que l’intelligence possède en moins. »[17]
Il est difficile de ne pas noter ici le mépris presque fétichiste de Otlet envers les personnes noires lorsqu’il prend la peine de nommer distinctement deux ethnies (les Awas d’Amazonie et les Veddas du Sri Lanka) tout en se référant très largement aux « nègres » ratissant, je l’imagine, quelques milliers d’ethnies différentes originaires d’Afrique. Ce fétichisme haineux de l’Africain est trouvable à chaque recoins de l’héritage glorieux européen duquel Norman Ajari dans son livre dévastateur, La Dignité ou la Mort, s’est attelé à mettre en lumière. Parmi les intellectuels étudiés figure notamment Kant chez qui l’on retrouve la même image fantasmée du sauvage que dans les écrits de Otlet :
« Les Nègres d’Afrique n’ont reçu de la nature aucun sentiment qui s’élève au-dessus de la niaiserie. Parmi les blancs, au contraire, il est constant que certains s’élèvent de la plus basse populace et acquièrent une certaine considération dans le monde grâce à l’excellence de de leurs dons supérieurs. Si essentielle est la différence entre ces deux races humaines ! Et elle semble aussi grande quant aux facultés de l’esprit que selon la couleur de peau »
« C’est ainsi qu’on voit apparaître le Nègre qui est bien adapté à son climat, à savoir fort, charnu, agile ; mais qui, du fait de l’abondance matérielle dont bénéficie son pays natal, est encore paresseux, mou et frivole »[18]
La similitude des idées ainsi que le langage utilisé sont furieusement marquants et démontrent à quel point Otlet ne faisait pas appel à une quelconque imagination personnelle mais plutôt à son héritage européen propre enraciné dans les travaux de penseurs racistes tels que Kant.
Ces deux arguments dont je me suis attelée à déconstruire démontrent les gymnastiques rhétoriques auxquelles certain.e.s sont prêt.e.s à se livrer afin de garder intact un héritage européen glorieux, mais fantasmé. Héritage dont certains personnages en seraient les références majeures, les rendant ainsi intouchables. Il est effectivement difficile de confronter son propre héritage car il a fait, après tout, ce que nous sommes. Ou du moins c’est ce que l’on nous apprend : - La Belgique est née en 1830 - La Belgique est une royauté - La Belgique a donné naissance à de grands noms dont on se doit d’être fier : Jacques Brel, Hergé, Sœur Emmanuelle, Paul Otlet etc - La Belgique fut à la tête d’un empire 60 fois plus grand que la Belgique grâce au Roi Leopold II - ...
Cet héritage, on nous l’enseigne de façon à ce que l’on apprenne à le chérir afin de maintenir cette idée fantasmée d’une nation, d’une singularité formée ensemble. Ainsi, l’on est capable de reconnaître ceux qui en font partie et ceux qui n’en font pas mais également cela nous pousse à rester sur nos gardes tant au respect de cet héritage. Et si cet héritage est ce que nous sommes, nous nous devons de nous opposer face à ce qui pourrait l’altérer. Sachant cela, il est à présent plus facile de comprendre ces pauvres bougres au Musée de Tervuren (c’est un choix conscient de ne pas l’appeler par son nouveau nom que je considère insultant) qui s’agrippent frénétiquement à cette image poussiéreuse de père civilisateur pour Léopold II, tel un naufragé se cramponne à sa bouée. Ou encore le public qui se scandalise aux demandes de retrait des statues représentant des hommes, dont Leopold II, qui furent les meneurs d’un des régimes les plus meurtriers de l’histoire avec une estimation de 10 millions de personnes tuées.[19] Pourtant, régulièrement on s’offusque : des chants racistes à un festival de musique[20], des fêtards en habits de colons[21], des étudiant.e.s en blackface [22] et il y en aura d’autres, j’en suis persuadée. On s’offusque puis on oublie jusqu’à la prochaine fois. Car là est le problème, rien dans notre société belge ne donne tort à ces « incidents » racistes qui de ce fait sont condamnés à se répéter en tant que micro-évènements foncièrement révélateurs d’un système d’oppression qui n’est pas prêt de bouger. C’est aussi, de mon point de vue, ce protectorat qui nous fait rentrer dans une sorte de crise identitaire dans les institutions culturelles. La véritable raison d’être des institutions, la protection de l’héritage belge, est tout à coup remise en question et les institutions sont montrées du doigt. Mais que devient une institution, un musée si il reconnaît que son existence même est la manifestation d’un système d’une violence inouïe et que son activité propre est un composant de cette violence ?
Le silence autour du texte L’Afrique Aux Noirs est une manifestation d’un protectorat enragé envers un héritage fantasmé, faisant alors naître une volonté presque naturelle de dégager le texte d’un geste de la main afin de pouvoir se concentrer sur le bon, le véritable héritage de Paul Otlet. Comme si cela n’était pas un ensemble qu’il faille envisager dans son intégralité afin d’y débusquer la nature profondément raciste et coloniale chez la personne et dans l’héritage de Otlet. L’étude de canons européens tels que Otlet ou Kant, dans le contexte européen, fonctionne par mise en valeur et omission, révélant d’un côté un privilège certain chez ceux.celles qui peuvent se permettre d’ignorer les idées haineuses, et de l’autre, la violence qui agit sur ceux.celles qui ne peuvent tout bonnement pas fermer les yeux.
- ↑ https://artsandculture.google.com/exhibit/QQ8iak0D;https://www.google.com/doodles/mundaneum-co-founder-paul-otlets-147th-birthday;https://daily.jstor.org/internet-before-internet-paul-otlet/; https://www.lepoint.fr/high-tech-internet/doodle-google-celebre-paul-otlet-le-cofondateur-belge-du-mundaneum-23-08-2015-1958561_47.php; https://www.altaplana.be/en/dictionary/otlet-paul; https://www.cairn.info/revue-de-la-bibliotheque-nationale-de-france-2012-3-page-5.htm
- ↑ Un Livre Irradiant, la Mondothèque, p210
- ↑ https://en.wikipedia.org/wiki/Paul_Otlet
- ↑ Paul Otlet, L’Afrique aux Noirs, 1888, p1-2
- ↑ L’homme qui voulait classer le monde, Françoise Levie (26min30 à 26min55) https://www.youtube.com/watch?v=HieMJSgnkSE
- ↑ Paul Otlet, L’Afrique aux Noirs, 1888, p1
- ↑ « Skulls in print: scientific racism in the transatlantic world » https://www.cam.ac.uk/research/news/skulls-in-print-scientific-racism-in-the-transatlantic-world « A brief history of the enduring phony science that perpetuates white supremacy » https://www.washingtonpost.com/local/a-brief-history-of-the-enduring-phony-science-that-perpetuates-white-supremacy/2019/04/29/20e6aef0-5aeb-11e9-a00e-050dc7b82693_story.html
- ↑ Podcast Scene on Radio – Series : Seeing White, épisode 8 (7min25 à 8min03)
- ↑ Podcast Scene on Radio – Series : Seeing White, épisode 4 (10min12 à 12min50)
- ↑ https://en.wikipedia.org/wiki/Olaudah_Equiano
- ↑ Monde : Essai d’Universalisme. L’Homme », 1935, Paul Otlet, p17 « Monde : Essai d’Universalisme. La Société », 1935, Paul Otlet, p191 & P193 « Monde : Essai d’Universalisme. Le Monde selon l’espace », 1935, Paul Otlet, p6 & p7 « Monde : Essai d’Universalisme. Le Monde au point de vue du sujet : le Moi », 1935, Paul Otlet, p12 « Monde : Essai d’Universalisme. L’Inconne. Le Mystère », 1935, Paul Otlet, p6
- ↑ https://www.britannica.com/biography/Immanuel-Kant
- ↑ Immanuel Kant. Réponse à la question : Qu’est-ce que les Lumières ? https://philosophie.cegeptr.qc.ca/wp-content/documents/Quest-ce-que-les-Lumi%C3%A8res%EF%80%A5-1784.pdf
- ↑ Cornel West cité dans Norman Ajari « La Dignité ou la Mort » Editions La Découverte, 2019, p81
- ↑ Achille Mbembe cité dans Norman Ajari « La Dignité ou la Mort » Editions La Découverte, 2019, p62
- ↑ « Monde : Essai d’Universalisme. L’Homme » 1935, Paul Otlet, p31
- ↑ « Monde : Essai d’Universalisme. L’Homme », 1935, Paul Otlet, p32
- ↑ Norman Ajari, « La Dignité ou la Mort » Editions La Découverte, 2019, p53
- ↑ https://www.independent.co.uk/news/long_reads/belgiums-genocidal-colonial-legacy-haunts-the-country-s-future-a7984191.html
- ↑ https://www.rtbf.be/info/medias/detail_des-incidents-racistes-au-festival-pukkelpop-ont-ete-signales-aupres-d-unia?id=9998869
- ↑ https://www.moustique.be/24358/derapage-colonialiste-d-une-soiree-africaine-aux-portes-du-musee-de-tervuren?fbclid=IwAR2MulSR1m9shSf90drEnejJnq2wwVSJEh6o-8IAEKql5WirIWLk3p9-9uE
- ↑ https://www.lavenir.net/cnt/dmf20161121_00918385/saint-louis-reagit-les-photos-des-etudiants-deguises-en-noirs-pas-prises-dans-les-locaux-de-l-universite